Comment expliquer ce qui pour moi est tout à fait normal, naturel, inné, même si je sais que je suis différente, et ce, depuis mon enfance. Et si je demandais à une personne neurotypique de m’expliquer comment son cerveau fonctionne? Que me répondrait-elle?
Dans cet article, je vais tout de même tenter d’expliquer, de façon simple et concise, ce qui se passe, en partie, dans ma tête d’Aspie (diminutif d’Asperger). J’y vais de façon aléatoire, spontanée, sans ordre ni intensité, ni importance du sujet, puisque mon cerveau a souvent tendance de passer du coq à l’âne.
Installez-vous donc confortablement et entrez dans ma tête d’Aspie :
Le décalage : Lorsqu’on me parle d’un sujet dont je ne suis pas préparée à répondre, je demeure stoïque et sans réponse. Mon cerveau doit analyser et faire le tour de la question ou du sujet avant d’être en mesure de répondre ou d’émettre un commentaire le plus juste possible et cela peut prendre de quelques secondes à quelques minutes à gérer l’information. Cette situation entraîne la perte d’une occasion de faire valoir mon opinion, mes droits et surtout, me défendre. Par après, je me dis “pourquoi je n’ai pas répondu (ceci ou cela)?”. Il faut comprendre que dans ma vie de tous les jours et avec des personnes avec lesquelles je suis habituée à interagir, cette situation est beaucoup plus rare voire même inexistante.
Le “bug” : Dans ma tête, tout se passe dans ma tête; tout y est possible, je m’y exprime aisément, je peux même me permettre de présenter une conférence sur un sujet bien maitrisé devant un public. Par contre, dès que je souhaite que ma bouche exprime mes pensées, j’oublie les mots, je bloque. Plus rien. Je perd le fil de mes pensées qui se dissolvent. C’est comme un mur infranchissable qui s’est soudainement érigé entre mes pensées et mes paroles.
Les non-dits : C’est l’histoire de ma vie. Je me suis souvent mise dans l’embarras non pas par mes propos choquants, mais plutôt par les non-explications, les non-dits, ce qui laisse mon interlocuteur perplexe et donne une opinion de moi quelque peu erronée. Il m'est souvent arrivé d’émettre un commentaire qui nécessitait une explication d’où je voulais en venir dans mon raisonnement. Malheureusement, je laissais les gens en plan, à se questionner, à ne pas comprendre le sens de mes propos.
Les deux extrêmes : Il n’y a pas 50 nuances de gris chez moi, c’est blanc ou c’est noir, c’est positif ou c’est négatif, c’est oui ou c’est non, c’est tout ou rien. Je vis avec les deux extrêmes. Alors il vaut mieux ne pas être trop vague avec moi, ne pas tourner autour du pot, être clair et précis. Je ne suis pas compliquée quand les autres ne le sont pas.
Les émotions : On dit que les autistes ont peu d’émotions. En fait c’est loin de la vérité, c’est plutôt que l’on ne peut identifier que les émotions les plus fortes, comme la colère et la joie. Les émotions plus subtiles sont difficiles à comprendre pour les autistes, on ne peut pas l’identifier, alors on utilise celles que l’on connaît le mieux.
Penser et lire en images : C’est-à-dire, lorsque je reçois de l’information, je dois mettre une image pour chaque mot, ou presque, ce qui demande beaucoup de concentration, de temps et d’énergie. Les informations devenues familières me sont plus faciles à assimiler et mon temps de compréhension se fait beaucoup plus vite. On comprend qu’en avançant en âge, le temps pour traiter l’information devient plus facile. Pour ce qui est de la lecture, mon cerveau cherche à imager et il peut accrocher sur une phrase durant plusieurs minutes pour en comprendre le sens. Il m’arrive donc souvent de recommencer à lire un paragraphe plus d’une fois et je finis par me perdre dans mes pensées.
Synesthésie : Certains chiffres et certaines lettres ont des couleurs. Je vois, j’interprète, des chiffres et des lettres en couleur, ce qui peut m’aider à mémoriser. Par exemple, la lettre A est rouge ainsi que le chiffre 4. La synesthésie est un trouble de la perception dans lequel une sensation supplémentaire est ressentie dans une autre région du corps que celle qui est perçue normalement.
La mémoire : J’ai peu de mémoire à court terme. Lorsque j’étais étudiante, les tests/examens que l’on devait mémoriser n’étaient pas ma force ; ce qui l’étaient, furent plutôt les projets et les travaux, et encore mieux en solo. Ici, je veux surtout parler de mémoire à long terme, voire, de mémoire émotive. Mes souvenirs passent beaucoup par les émotions. En fait, tout ce qui m’a touchée émotionnellement, ou presque, je m’en souviens.
Apprendre et enseigner : Je suis autodidacte, j’apprends par moi-même, il m’est plus facile de retenir les informations lorsque je lis et que j’essaie de comprendre par moi-même que lorsqu’une personne parle, enseigne ou lit devant moi. J’aime apprendre par essaie/erreur, ce qui permet de mieux retenir mon apprentissage. Et puisqu’il est possible pour moi d’apprendre seule, il m’est alors très difficile d’enseigner aux autres de façon claire et précise, et ce, tout en faisant preuve de patience.
“Meltdown” et “shutdown” autistique : Ce sont deux termes utilisés par les personnes autistes. Le “meltdown” est un effondrement autistique, une crise de rage, de colère, de nerfs subite et sans crier gare, dont les causes et déclencheurs ne sont pas les mêmes que pour les personnes non autistes. Le “shutdown” est plus intériorisé, il est le précurseur du “meltdown” qui survient s’il n’a pas été géré et traité dans un temps déterminé.
Lire entre les lignes (ou les choix multiples) : Tourner autour du pot, essayer de me faire comprendre un message sans les mots, est inutile et une perte de temps, et très frustrant pour moi. Je n’aime pas lire entre les lignes, non pas que je suis incapable, mais plutôt que j’y vois des choix multiples, je ne sais lequel cocher. Je m’explique : si on me dit “Nous allons magasiner” et que l’on attend de moi que je comprenne que je suis invitée à me joindre au groupe, ce qui se passe dans ma tête n’est pas aussi simple (conversation avec moi-même) : “Est-que l’on m’invite vraiment ou est-ce que je leur ai fait perdre du temps alors qu’elles sont sur leur départ ou (et là, je me dirige vers la paranoïa) : est-ce une façon de me dire qu’elles ont de l’argent plus que moi ou qu’elles s’habillent mieux que moi, par arrogance, etc.”, peut importe la raison, ce n’est pas clair dans ma tête. Si l’intention du départ était de m’inviter, la question aurait été aussi simple que : “Est-ce que tu veux venir magasiner avec nous?”.
Susceptibilité : Puisque je ne peux pas comprendre les intentions des autres, parait-il, je peux devenir trèèèèèèèès susceptible, prêtant des intentions aux autres qui sont, peut-être, non fondées. Honnêtement, je ne suis pas certaine si je suis susceptible ou bien si j’ai vraiment le don de déceler les intentions des autres! Je pencherais plus pour ce dernier constat.
Les mots exacts : La confusion règne dans ma tête lors d’une conversation mal interprétée par l’utilisation de mots inappropriés, tout devient alors chaotique, rien n’a du sens. Les mauvais choix de mots empêchent une compréhension claire et précise d’un échange verbal, d’une demande. Je dois deviner et c’est une perte d’énergie de plus pour moi. Chaque chose à un nom, chaque nom a une définition.
Hypersensibilité vs hyposensibilité : Je suis hypersensible à la lumière, au son, au toucher, à l’odeur, même le goût est souvent très prononcé, j’ai les papilles qui fourmillent. Je peux parfois être hyposensible, comme lorsque j’ai délibérément posé une de mes mains sur le dessus d’un poêle à bois bien chaud et, étrangement, je n’ai rien ressenti (peut-être que la boisson a aidé!). L’hypersensibilité peut être très dérangeante, voire gênante, au point où cela m’empêche de travailler et de fonctionner : lumière trop vive, discussions trop fortes, odeurs nauséabondes et parfois même les fragrances de parfum très prononcées et les bruits subis sont ce qui me dérange le plus. Certaines textures d’aliments me dégoûtent, me roulent dans la bouche comme le gruau que ma mère a voulu me faire avaler lorsque j’étais enfant, j’ai eu un haut le coeur, et comme disait mon père “quand je croque sur du lard, les fesses me frémissent”.
La switch ou ON and OFF : Tout d’un coup, sans crier gare, je me sens fatiguée, épuisée. Je semblais être à l’écoute, en maîtrise de moi, enthousiaste, souriante, énergique, et puis “clic”, je ne suis plus là, je suis fermée, je suis sombre, je n’ai plus le goût de parler, je réalise que j’ai atteint mon seuil de fatigue depuis quelques minutes, voire quelques heures. Je ne suis donc plus à l’écoute, j’ai de la difficulté à me concentrer, je veux quitter l’interlocuteur, l’audience, l’endroit, pour aller me réfugier dans mon cocon.
Rigidité : Je l’ai entendu près de moi, et comme je suis “susceptible” (sarcasme) je l’ai pris personnellement. C’est arrivé avant que je découvre qui je suis, maintenant je comprends, puisque cette caractéristique fait bien partie d’une personne autiste. La rigidité au sens propre comme au sens figuré, rigide dans ma tête, rigide dans mon corps. Comme un défaut, lorsqu’on s’en rend compte on peut le corriger.
Fixation : Oui, j’ai fixé à plusieurs reprises, sans vouloir intimider les gens ou les affronter, mais soit pour regarder ailleurs et là, l’ailleurs, était souvent une personne, soit pour essayer de me remémorer qui est la personne ou soit pour étudier le comportement pour imiter. C’est la fois où je me questionnais à savoir où j’avais bien pu rencontrer telle personne dans un lieu de travail ; lors de la pause midi, je marchais côte à côte avec une fille tout en la regardant intensivement, essayant de me rappeler où j’avais bien pu la rencontrer, elle me rappelait quelqu’un, et là j’ai réalisé que cela a duré plusieurs secondes, trop pour le temps normal permis selon les normes sociales. Je crois avoir eu de la chance ce jour-là ! Du monde bizarre il y en a partout et j’aurais pu me retrouver dans le trouble !
Prosopagnosie : La prosopagnosie est une forme d’agnosie visuelle, l’absence de reconnaissance des visages. Bien que ce problème n’est pas exclusif à l’autisme, il est assez répandu chez les autistes. Je ne suis pas certaine si le fait de ne pas reconnaitre les gens par rapport au contexte fait partie de ce trouble. Par exemple, lorsque je vois une personne régulièrement toujours au même endroit et que je la croise ailleurs, je ne vais surement pas la reconnaitre. Je ne reconnais pas les personnes que je ne vois pas souvent si elles perdent ou prennent du poids, d’un changement de coupe ou de couleur de cheveux, bref, tout changement physique, alors que je me fis sur ces aspects afin d’être en mesure de reconnaitre une personne.
Mutisme involontaire : On l’appelle encore “mutisme sélectif”, toutefois, après avoir regardé une conférence sur l’autisme au féminin, on a invoqué le terme “mutisme involontaire” qui est beaucoup plus approprié pour les personnes autistes. Je ne me dit pas “je décide de ne pas parler”, j’ai surtout un blocage et je ne peux tout simplement pas m’exprimer lors de certaines situations et devant certaines personnes.
Prosodie (déficience) : La prosodie est l'inflexion, le ton, la tonalité, l'intonation, l'accent, la modulation que nous donnons à notre expression orale, de manière à rendre nos émotions et intentions plus intelligibles à nos interlocuteurs. Chez une personne, enfant ou adulte, présentant une condition du spectre de l'autisme, celle-ci et en particulier le ton de la voix, peuvent être inhabituels. Certains auront un ton «plat» perçu comme monotone. Parmi les caractéristiques de la voix, on compte des problèmes de volume (parler trop fort ou encore trop faiblement) en tenant compte du contexte (source : Spectre de l’autisme.com). C’est lorsque ma fille m’a souvent dit que j’élevais la voix, mais là, sans crier gare, que j’ai réalisé que mon volume passe de 1 à 9 dans l’espace d’une fraction de seconde. J’essaie de modérer, mais pas si facile que ça. Pour ce qui est de mon ton monocorde j’ai appris à le réguler surtout lorsque je suis au téléphone ; j’ai alors remarqué au ton de sa voix et de son interaction que mon interlocuteur est plus ouvert et semble moins perdu.
Voilà donc un bref aperçu de comment je me sens, de qui je suis. Bien sûr, je n’ai pas été en profondeur dans les explications mais je crois que ces quelques lignes pourraient mettre en lumière certaines caractéristiques pour les personnes qui se questionnent sur le comportement, qui peut sembler erratique et exagéré, des personnes autistes/Asperger.
Le cerveau atypique :
“Les liaisons fonctionnent de manière moins efficace, de telle manière que les personnes avec un TSA perçoivent moins vite le lien entre ce qu’elles perçoivent et ce qu’elles connaissent déjà. Il leur est également plus difficile d’intégrer une information isolée à un ensemble significatif, ce qui leur fait parfois ressentir le monde comme chaotique. Là où le cerveau avec un développement typique emprunte une autoroute à 3 bandes pour transporter l’information entre ses différentes zones, le cerveau des personnes avec un TSA doit se débrouiller avec de petits chemins dans lesquels le traitement de l’information circule plus difficilement.” (Source : participate-autisme.be)
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